Les tribulations d'un cloporte - Episode 02

A trainer ainsi ma misère sur le trottoir, certains doivent me trouver pour le moins lymphatique.

De fait, la marche n'est pas un moyen de locomotion que j'affectionne particulièrement...et c'est peu dire!

Mais devant le refus d'obtempérer de mon carrosse d'un autre âge, j'ai du me contraindre à actionner mes guibolles rachitiques pour rejoindre l'arrêt de bus le plus proche de ma tanière.

Cela dit, arpenter la rue sous cette pluie battante avec mes vieilles Clarks détrempées me paraît presque agréable tant ce qui m'attend d'ici 800 mètres me colle, par avance, le bourdon.

Je nourrit, en effet, une pure aversion pour les transports en commun.

Me mélanger à mes contemporains dans un espace aussi confiné et aussi peut reluisant...me soumettre à leurs regards, les renifler, les frôler, les entendre brailler...à cette simple pensée, v'là que j'me met à transpirer abondamment...j'en panique d'avance...quel con.

Je n'suis pourtant pas claustrophobe ni franchement asocial...c'est seulement que je m' trouve pas à ma place dans ce genre de bétaillère.

Je n'suis donc pas pressé d'atteindre l'abri bus que je fixe vaguement, comme pour me laisser le temps de dénicher une solution de replis.

D'ailleurs, à ce rythme de mollusque, j'vais finir par le louper ce foutu bus...

D'autant qu'il est hors de question pour mézigue de me mettre à gambader et gesticuler bêtement pour interpeller le chauffeur en beuglant comme le font certains bipèdes de mon espèce...se serait le bouquet!

De toutes manières, le dernier pas de course que j'ai pu entreprendre dans ma triste subsistance ne date pas d'hier et vous ne trouverez aucun témoins vivant de cet acte de folie furieuse.

Non..vraiment..à quoi sert de courir sinon à s'casser la gueule ou précipiter un événement fâcheux qui, de toute façon, finira par surgir un jour ou l'autre???
Dans ce cas...plutôt l'autre.

Pour égayer mon périple, j' enfonce les écouteurs de mon lecteur mp3 dans mes esgourdes généreuses.

Le vacarme de la ville disparaît alors au profit de la voix sublimement rocailleuse de Janis*.

Je ralenti encore l'allure... « Summertime the living is easy... »... « One of this mornings you're gonna rise singing...you're gonna spread your wings... »...

Alors, ce qui devait arriver, arriva...pour une poignée de merveilleuses secondes, je vois mon bus s'éloigner...j' aurait presque pu le toucher mais j'me suis contenté de respirer à plein poumons les gaz d'échappement du monstre métallique...

Je toussote avec autant de classe qu'un vieillard asthmatique...puis, dans un souci de reprendre des palpitations normales et évacuer le stress de ce triste et navrant épisode d'une journée mal engagée, Je m'octrois une halte dans la cabane en plexiglas...
J'allume une clope et reluque sans intérêt le tableau des correspondances... « Until that morning nothing's going to harm you now... »...



* à écouter dans la rubrique Bande son